mardi 13 décembre 2011

David contre Goliath...

Vu dans le Monde du 12 décembre 2012, article de Richard Schittly.



"C'est une première dans le domaine du droit environnemental. Lundi 12 décembre, la 4e chambre civile du tribunal de grande instance de Lyon devait examiner la plainte d'un agriculteur charentais, Paul François, contre le géant de l'agrochimie Monsanto, dont il accuse un produit herbicide d'être à l'origine de ses graves problèmes de santé.
Chez Monsanto, personne ne voulait s'
exprimer avant l'audience. Ni le directeur des relations extérieures ni l'avocat chargé de plaider le dossier. La firme américaine, dont le siège social français est basé à Bron (Rhône), près de Lyon, faisait le dos rond, en attendant un procès pendant lequel la Confédération paysanne avait prévu un rassemblement devant le palais de justice.



Pour M.François, 47 ans, agriculteur à Bernac, c'est l'aboutissement d'un long et éprouvant combat. Ce céréalier ne travaille plus qu'à mi-temps, en proie à des fatigues chroniques et des maux de tête tenaces. Les médecins considèrent que son système nerveux central a été affecté à la suite de l'inhalation d'un puissant désherbant, le Lasso, fabriqué par Monsanto.
L'accident s'est produit le 27a vril 2004. Après le traitement d'un champ de maïs, l'agriculteur a nettoyé une cuve, dont se sont échappées des vapeurs gazeuses. Il est tombé dans le coma et a été frappé d'amnésie. En 2008, les séquelles de son accident ont été considérées comme une maladie professionnelle par le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) de Charente. Ce qu'a confirmé la cour d'appel de Bordeaux en janvier 2010. "Ce produit présentait un réel danger potentiel. Monsanto ne peut pas
dire qu'il ne savait pas", accuse M.François.
DEUX MOLÉCULES TOXIQUES
"Engager une action en responsabilité contre un fabricant est une première dans le secteur de l'agroalimentaire", souligne l'avocat du plaignant, Me
François Lafforgue. Celui-ci appartient à un cabinet parisien spécialisé dans les questions de santé publique. Il a défendu les victimes de l'amiante, des essais nucléaires ou encore de l'explosion de l'usine AZF à Toulouse. "Dans le cas présent, il s'agit de démontrer une faute, dit-il. Nous considérons que le fabricant n'avait pas signalé les sérieux risques liés à des composants chimiques du produit."
Le Lasso est notamment constitué de chlorobenzène et d'alachlore, deux molécules toxiques. Me Lafforgue fait
remarquer que le désherbant avait été interdit au Canada dès 1985, en Belgique en 1990, au Royaume-Uni en 1992. En France, il ne l'a été qu'en 2007. Selon le juriste, Monsanto va sans doute s'abriter derrière l'homologation officielle de l'Etat dont bénéficiait son produit avant son interdiction, pour justifier sa commercialisation. Mais, note-t-il, "depuis l'affaire du Mediator, on sait que les homologations ne sont pas à l'abri de désinformation de la part des industriels". A ses yeux, "l'éventuelle carence de l'Etat n'exonère en rien le fabricant de sa responsabilité".
"DES PAYSANS SONT EN TRAIN DE
CREVER DANS LEUR COIN"
A travers son cas, Paul François veut
attirer l'attention sur l'état de santé des agriculteurs français, nombreux à souffrir de maladies dues aux produits qu'ils manipulent, sans oser en parler. "Ils passent sous silence leurs problèmes de santé, le nez qui saigne, les yeux qui piquent, le mal de tête… Ils laissent filer, mais les intoxications chimiques finissent par provoquer des maladies graves", dit-il. Et de résumer brutalement : "Des paysans sont en train de crever dans leur coin." La raison de leur silence ? Les agriculteurs se laissent enfermer par un sentiment de culpabilité, analyse M. François. Selon lui, ils se sentent visés par des reproches sur l'utilisation de produits nocifs pour l'environnement et la santé. Du coup, ils n'osent pas évoquer leurs problèmes de santé, de crainte d'alimenter la polémique. "Ils meurent, et en plus on les accuse, s'indigne-t-il. On les stigmatise, mais les firmes agrochimiques, elles, continuent d'engranger des bénéfices !"
Les cultivateurs, défend-il, font
évoluer leurs méthodes de travail, lentement certes, mais avec une prise de conscience des risques pour l'environnement. "Il y a encore des travers, reconnaît-il, de même qu'il existe des automobilistes qui roulent à 250 km/h sur l'autoroute. Mais ce n'est pas la majorité des cas." Paul François est impatient que la justice se prononce. "Je ne me lève pas chaque matin en pensant à Monsanto, confie-t-il, mais ce procès est une étape importante, même si la procédure juridique dure encore des années. Il me tarde de passer cette épreuve." Et il ajoute : "Dès qu'on touche à la chimie, on touche à des conflits d'intérêts et ça devient compliqué. Je suis un simple citoyen. Je ne représente rien contre une puissance comme Monsanto. Mais la justice est là pour dire nos droits."

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